L’art de réinventer la roue

La réforme scolaire a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années. Or, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le "renouveau pédagogique" n’a pas changé grand-chose dans l’enseignement du français au secondaire, révèle une vaste enquête réalisée dans les écoles du Québec. La traditionnelle dictée et les exercices de grammaire y sont toujours présents.

Voilà l’une des conclusions tirées de l’enquête intitulée "État des lieux de l’enseignement du français", réalisée par Suzanne-G. Chartrand et Marie-Andrée Lord, professeures à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, en collaboration avec le Conseil supérieur de la langue française.

Selon Mme Chartrand, qui se spécialise en didactique du français, il n’existe "aucune preuve scientifique de l’efficacité de la dictée". Les élèves qui en arrachent en français ne deviendront pas meilleurs en multipliant les dictées. "C’est loin d’être la panacée. Il y a des exercices beaucoup plus utiles… L’important est surtout d’expliquer aux élèves comment se corriger eux-mêmes afin qu’ils apprennent à réfléchir et à comprendre les règles de grammaire, plutôt que de bêtement les mémoriser… On a proposé des changements parce que les résultats escomptés n’étaient pas au rendez-vous", affirme-t-elle, en rappelant les lacunes des élèves en français.

Et maintenant que les changements proposés par la réforme ont été mis à l’épreuve, est-ce que les "résultats escomptés" sont au rendez-vous ? Les résultats mitigés des élèves de cinquième secondaire aux examens de français du ministère me laissent plutôt perplexe.

Pourtant, selon les résultats tirés de l’enquête, 40 % des enseignants déclarent avoir eu recours à la dictée environ une fois par mois. À mon sens, ce faible pourcentage d’enseignants utilisant la "traditionnelle dictée" [une connotation péjorative à peine voilée des auteures] pourrait être en partie responsable de la mauvaise qualité du français de nos élèves québécois, d’autant plus que le programme d’études n’en fait même pas mention.

Au cours de ma carrière de 32 ans dans le monde de l’éducation, dont 27 dans l’enseignement du français au secondaire, j’ai dû passer à travers l’implantation de 4 ou 5 nouveaux programmes et, à chaque fois, à la lecture du contenu de ces programmes, je me demandais s’il n’y avait pas quelque part dans une Tour à Québec, des fonctionnaires qui s’évertuaient à réinventer la roue en tentant, par tous les moyens, de trouver des failles à l’utilisation de la dictée comme mode d’apprentissage de notre langue maternelle.

À mon avis, la dictée, pour autant que le professeur laisse du temps à ses élèves pour se corriger et qu’il insiste sur la "compréhension" des phénomènes grammaticaux "plutôt que de bêtement les mémoriser", demeure un instrument privilégié d’apprentissage du français. Après tout, n’est-ce pas "en forgeant qu’on devient forgeron" de la même manière que c’est en écrivant qu’on apprend à écrire ?

vigile.net tribune libre 11 mars 2013
quebechebdo 11 mars 2013
Le Soleil 17 mars 2013 (version abrégée)

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