Quelle bouffonnerie!

Les Prix Woodrow-Wilson reconnaissent des chefs de file des secteurs de la politique, des affaires, des sciences, des arts, et autres secteurs, qui ont travaillé sans relâche pour améliorer la qualité de vie de ceux et celles qui les entourent, à l’image du président américain Woodrow Wilson. Depuis qu’ils ont été créés, il y a plus d’une dizaine d’années, les Prix ont été remis à des personnalités, dans de grandes villes d’Amérique du Nord et d’ailleurs dans le monde. Cette année, c’est avec enthousiasme que les membres du conseil d’administration du Wilson Center ont proposé d’accorder le prix pour service public à Jean Charest.

Le prix pour service public est remis à des personnes qui se sont distinguées dans l’exercice de leurs fonctions, dans la vie publique, et qui ont maintenu un engagement sincère à l’égard d’opinions éclairées et d’idées bien mûries. Les récipiendaires de ce prix partagent la conviction indubitable du Président Woodrow Wilson envers le débat public, l’art professoral et la diffusion du savoir, dans leur propre pays et ailleurs dans le monde. Plutôt que de sacrifier leurs politiques et leurs idées à l’opportunisme politique ou professionnel, ces dirigeants ont à cœur d’étudier le contexte historique et de mesurer les répercussions à long terme d’importantes questions de politique publique. Ils encouragent les échanges d’idées francs et ouverts, lesquels constituent la pierre d’assise d’une démocratie vivace.

En lisant ces critères d’attribution en relation avec la remise d’un tel prix à Jean Charest , le documentaire de Pierre Falardeau, intitulé « Le temps des bouffons », présenté en 1985, m’est immédiatement revenu en mémoire.

Nous nous retrouvons au Queen Elizabeth pour le banquet annuel du Beaver Club. À la table d’honneur, avec leur fausse barbe et leur chapeau en carton, les lieutenants gouverneurs des dix provinces, des hommes d’affaires, des juges, des rois nègres à peau blanche qui parlent bilingue.

Pendant que la voix du récitant, celle de Falardeau lui-même, assène des paroles acerbes sur la réalité de tous les points chauds du globe d’hier, d’aujourd’hui, de demain, sur la mort des illusions et la montée du veau d’or, la caméra fixe des visages anodins qui ne disent rien, sinon la satisfaction d’être bien lavés, bien pomponnés, bien blanchis.

Alors que les personnages sont prisonniers d’eux-mêmes, s’enfermant dans leurs évidences et leurs célébrations sans joie, Pierre Falardeau continue de les filmer. Il ne guette pas le regard allumé par l’alcool, le ventre qui s’étale, les joues rebondies ou la défaite du maquillage. Il continue simplement de prendre les visages dans leur banalité.

Et la voix de Falardeau de se faire entendre :

« Sont réunis ici ce soir, dans cette illustre enceinte, des personnalités dont le seul nom évoque assurément la grandeur et l’honorabilité puisque, en fait, à cette table ils sont tous honorables. En titre… Mais rassurez-vous, ce soir, exceptionnellement, ils redeviennent tous humains et les règles du protocole sont dès maintenant abolies…

Des bourgeois pleins de marde d’aujourd’hui déguisés en bourgeois pleins de marde d’ autrefois célèbrent le bon vieux temps. Le bon vieux temps, c’est la Conquête anglaise de 1760 ; par la force des armes, les marchands anglais s’emparent du commerce de la fourrure. Chaque année, les grands boss se réunissent pour fêter leur fortune. Ils mangent, ils boivent, ils chantent…

C’est ça, le Beaver Club au début. Deux cents ans plus tard, leurs descendants, devenus tout à fait respectables, font revivre cette fête par excellence de l’exploitation coloniale…Toute la gang des Canadiens français de service est là, costumée en rois nègres biculturels. Des anciens politiciens devenus hommes d’affaires. Des anciens hommes d’affaires devenus politiciens. Des futurs politiciens encore hommes d’affaires.

Toute la rapace est là : des boss pis des femmes de boss, des barons de la finance, des rois de la pizza congelée, des mafiosos de l’immobilier. Toute la gang des bienfaiteurs de l’humanité. Des charognes à qui on élève des monuments, des profiteurs qui passent pour des philanthropes, des pauvres types amis du régime déguisés en sénateurs séniles, des journalistes rampants habillés en éditorialistes serviles, des avocats véreux, costumés en juges à 100 000$ par année. Toute la gang est là : un beau ramassis d’insignifiants chromés, médaillés, cravatés, vulgaires et grossiers avec leurs costumes chics et leurs bijoux de luxe. Ils puent le parfum cher. Sont riches pis sont beaux, affreusement beaux avec leurs dents affreusement blanches pis leur peau affreusement rose. Et ils fêtent…

C’est toute l’histoire du Québec en raccourci. Toute la réalité du Québec en résumé : claire, nette pour une fois, comme grossie à la loupe. Ce soir, les maîtres fêtent le bon vieux temps. Ils fêtent l’âge d’or et le paradis perdu. Ils crient haut et fort, sans gêne, leur droit au profit, leur droit à l’exploitation, leur droit à la sueur des autres. Ils boivent à leurs succès. Ils chantent que tout va bien, que rien ne doit changer, que c’est pour toujours… toujours aux mêmes, toujours les mêmes…

Quelle boufonnerie ! »

vigil.net tribune libre 26 octobre 2011

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