Une décision déraisonnable
C’est parce qu’il « a les compétences qu’il faut » qu’André Boisclair a hérité d’une permanence à vie dans la fonction publique en même temps qu’il est devenu délégué général du Québec à New York. Attaquée de toutes parts, la première ministre Pauline Marois a ainsi défendu la double nomination de l’ex-politicien péquiste comme délégué, mais aussi bénéficiaire du statut de sous-ministre adjoint aux Relations internationales.
Toutefois, là où le bât blesse dangereusement, c’est qu’au sein même des rangs péquistes, la nouvelle a été mal accueillie. En effet, pendant que le vice-premier ministre François Gendron admettait qu’il n’était pas au courant de la double nomination, un député péquiste a qualifié la situation « d’indéfendable ». L’interlocuteur rencontré par les médias, dont le nom n’a pas été divulgué, s’est dit convaincu que « le caucus n’était pas au courant. [...] C’est passé sans qu’ils ne le voient » au Conseil des ministres, a-t-il ajouté… Une décision qui risque de rappeler le goût amer du projet de loi 204 concernant l’amphithéâtre du maire Régis Labeaume, les élus de l’équipe Marois n’ayant pas été consultés dans cet épineux dossier.
Cette fois-ci, pour tenter de justifier sa décision, la chef du gouvernement a insisté sur les qualifications de M. Boisclair qu’elle a décrit comme une personne « qui a beaucoup d’entregent » et qui « a complété des études supérieures » aux États-Unis, une maîtrise d’un an dans une école affiliée à l’Université de Harvard. « Il a failli être premier ministre du Québec », a-t-elle ajouté. « Il a eu plus de 1 million de voix » à l’élection générale de 2007. Qualifiant André Boisclair d’homme de « tous les talents », Mme Marois a insisté sur la feuille de route de celui qui « a dirigé des ministères importants, dont celui de l’Environnement », et a été responsable « de milliers de fonctionnaires ».
Pour sa part, à son arrivée au caucus péquiste, le ministre Jean-François Lisée, le patron des délégués du Québec à l’étranger, a confessé que c’est à la suggestion de M. Boisclair que la clause sur la permanence d’emploi comme haut fonctionnaire a été incluse dans son contrat d’embauche. Même si M. Lisée a plaidé qu’André Boisclair a dû abandonner une clientèle qu’il s’était bâtie comme consultant, le ministre a quand même dû admettre qu’il aurait été préférable de mentionner, dès le départ, dans le communiqué de presse de nomination, le double statut qui échoit à André Boisclair.
Enfin, dans un ultime effort pour légitimer sa décision, Pauline Marois a plaidé que le libéral Jean Charest a procédé à des nominations politiques autrement plus critiquables. Une demi-douzaine d’attachés politiques ont quitté l’entourage d’un premier ministre libéral pour atterrir dans un siège de sous-ministre. Leurs noms apparaissent sur la liste que le Parti québécois a confectionnée pour illustrer le fait que Pauline Marois n’invente rien en donnant le statut de sous-ministre à André Boisclair. Le problème, c’est qu’aucun des 32 noms des libéraux contenus sur la liste remise par le PQ , élus ou attachés politiques, n’a fait l’objet d’une double nomination comme M. Boisclair qui devient délégué du Québec à New York tout en étant désigné sous-ministre, un privilège qui lui permet d’accéder au régime de pension des administrateurs d’État en plus d’obtenir l’assurance d’un revenu annuel indexé d’environ 170 000 $ et le droit à sa pleine retraite, sans pénalité actuarielle, dès l’âge de 55 ans.
Personne ne semble remettre en question la nomination d’André Boisclair à titre de délégué général du Québec à New York… Quant à M. Boisclair, il disposait de toute la latitude pour négocier les conditions liées à ses nouvelles fonctions. Toutefois, en acceptant les conditions proposées par un « fidèle allié de son parti », Pauline Marois ouvre la voie à une politique partisane qu’elle s’évertue à décrier depuis des mois et nous laisse pour le moins perplexes sur ses intentions fermement avouées de « faire de la politique autrement ».
vigile.net tribune libre 5 décembre 2012
quebechebdo 5 décembre 2012